Moi aussi, j’ai beaucoup aimé ce livre du grand astrophysicien. La recension très vivante qu’en a présentée récemment Louise Brocas (*) me dispense d’en faire l’analyse ; je m’arrêterai plutôt sur les raisons d’en être enthousiasmé.
La clarté de son écriture, tout d’abord. À lire en termes aussi simples des notions d’une grande complexité, même pour les familiers du langage scientifique (les connaissances et les théories sont, il est vrai, en permanente évolution), « on se croirait intelligent », comme le dit l’expression familière… à la condition de rester très modeste, comme l’auteur lui-même.
Le lien qu’il souligne, ensuite, entre l’observation et son caractère esthétique. Il sait l’exprimer avec poésie dans des phrases telles que celle-ci : « La lumière… est le messager du cosmos par excellence. Elle est ma compagne. C’est elle qui me permet de communiquer avec le cosmos et de l’étudier. C’est elle qui véhicule les fragments de musique et les notes éparses de la mélodie secrète de l’univers, que l’homme tente de reconstituer dans toute sa glorieuse beauté ». Une beauté, souligne-t-il, qui excède celle perçue par les yeux : « Je ressens aussi intensément une beauté d’ordre plus abstrait, que m’inspirent sa cohérence et son ordre ».
Oui, montre-t-il, ce monde si ordonné, si cohérent, obéit à des lois peu à peu dégagées par les chercheurs, et qui, plus étonnant encore, peuvent être exprimées en termes mathématiques. Trinh Xuan Thuan, après avoir cité Einstein : « Ce qui est le plus incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible », note pour sa part : « Je suis toujours émerveillé quand je pense qu’avec des lois physiques exprimées en termes mathématiques, la NASA a pu envoyer un homme sur la Lune ». À ses yeux, « le processus de la création scientifique est étonnamment proche de celui de la création artistique », à cette importante différence près que « les lois de la nature et les mathématiques possèdent un caractère universel, alors que l’oeuvre d’art est fortement marquée par le style et les particularités de l’artiste ».
Rien d’étonnant à ce que l’auteur, dans sa troisième partie intitulée « Ce que je crois », ait voulu rapprocher ses connaissances scientifiques de sa culture bouddhiste. « Parce que la science et le bouddhisme représentent l’un et l’autre une quête de la vérité, dont les critères sont l’authenticité, la rigueur et la logique, leurs manières d’envisager le réel ne devraient pas déboucher sur une opposition irréductible, mais au contraire sur une harmonieuse complémentarité ». Il trouve dans le cosmos, écrit-il, les trois principes philosophiques fondamentaux du bouddhisme : interdépendance, vacuité et impermanence. Toutefois, reconnaît-il avec sa grande modestie, ce rapprochement risque de buter sur une question majeure : quelle est l’origine de l’univers ? comment a-t-il permis l’apparition de la vie et de la conscience ? Car « la cosmologie moderne a découvert que l’existence de l’être humain est inscrite dans les propriétés de chaque atome, de chaque étoile, de chaque galaxie de l’univers, et dans chacune des lois physiques qui régissent le cosmos ».
Ces « lois », mesurées très précisément mais dont l’origine reste à découvrir, sont remarquablement constantes. À défaut de pouvoir reproduire en laboratoire l’énergie primordiale, les scientifiques ont étudié sur leurs ordinateurs toutes les variations possibles de
ces « constantes », en demandant à chaque modèle d’univers ainsi défini « s’il héberge la vie et la conscience après une évolution de 13,7 milliards d’années ». Le résultat est stupéfiant : seul notre univers possède la combinaison gagnante ! Alors, hasard ou nécessité ? La science actuelle étant encore incapable de trancher, Trinh Xuan Thuan fait le pari de la nécessité d’un principe créateur, et en donne plusieurs raisons. « Mais attention, prévient-il : pour moi, ce principe ne représente pas un dieu barbu, mais un principe panthéiste qui se manifeste dans les lois de la nature ».
Ma culture scientifique est loin d’atteindre un tel niveau, et ma compétence sur le bouddhisme est nulle : je serais donc bien en peine de discuter son argumentation et sa conclusion. Mais, bien d’accord avec lui, « Je suis persuadé que la science est loin d’être la seule fenêtre qui nous permette d’accéder au réel…La spiritualité, au même titre que la poésie ou l’art, en constitue une autre, complémentaire de la science, pour contempler le monde ». On ne peut rester insensible à des phrases telles que celle-ci : « Nous sommes tous faits de poussières d’étoiles. Frères des bêtes sauvages et cousins des fleurs des champs, nous portons tous en nous l’histoire cosmique ». Et je partage volontiers sa conviction : « Je suis d’avis que la cosmologie moderne a réenchanté le monde ».
Jean Werquin
(*) Bulletin n° 192